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Gaëla Galasso

Huguette en Colombie

Dernière mise à jour : 19 nov. 2020


Huguette lit dans la section faits divers d’un journal : « Grand gagnant du Lotto retrouvé mort dans son canapé ». Elle n’est pas encore tout à fait réveillée. Assise sur son tabouret dans la cuisine, elle referme le cœur croisé de son peignoir doudoune bleu clair d’un geste emmitouflant.


Son café encore trop chaud, lui donne un coup de fouet. Elle relit le titre et se plonge dans l’article : « … il semblerait que la victime ait eu des connections avec un cartel de drogue colombien… »


- « Mince alors… »


Elle se perd dans ses pensées en regardant par la fenêtre. Le temps est gris, les fenêtres tapissées de perles de pluie. La végétation n'avait pas résisté à la tempête. Elle se remémore ce voyage de ses vingt ans en Amérique latine, plus particulièrement l’épisode en Colombie. Elle aussi a failli se brûler les ailes avec le cartel colombien.


Cette journée-là, le soleil brillait. Huguette venait de se faire dérober son portefeuille et son passeport par des vanupieds de quartiers. Pour se remettre de ses émotions après l’attaque, sauvage peut-être, mais pleine de grâce et de discrétion, elle est entrée dans le premier bar venu. Il ne lui restait que quelques dollars qu’elle avait soigneusement cachés dans son soutien-gorge. En entrant, elle se dirigea vers le comptoir pour s’y affaler et par la même occasion y déverser tout son désespoir.


- One beer please…


…et termina sa commande en espagnol par un « cerveza ! » afin d’être certaine d’être comprise. Elle ne manqua pas d’accentuer ce mot étranger d’un soupir et d’un dégoût qui révélaient tout le mépris qu’elle avait, à cet instant précis, pour tout ce qui représentait ce pays qu'elle voulait fuir au plus vite. Elle en voulait à tous les colombiens, toutes les colombiennes, aux chiens errants, à ce pays trop chaud. Elle se demandait ce qu’elle faisait là et se demandait comment elle allait bien pouvoir rentrer chez elle sans passeport et sans le sou. Il lui restait exactement 27 dollars, un paquet de chewing-gums et deux capotes.


- Echame una también… (mets-en une pour moi)


Il s’appelait Santos. C’était un habitué. Il connaissait très bien le serveur du bar. Santos était grand et charismatique. Une dégaine de cow-boy. Il portait un Houston, avait un regard de braise à faire fondre une baronne de la mafia et un sourire à tomber par terre. Il s’approcha d’Huguette qui, en d'autres circonstances, aurait fait un pas en arrière et aurait jeté un regard dédaigneux sur ce vautour insignifiant. Mais là, elle était sous le charme et en oubliait, le temps d’un instant, son statut d’étranger SDF ainsi que le dégoût qu’elle venait de ressentir pour l’ensemble des créatures colombiennes.


Le courant passait bien entre eux. Il la faisait rire et la mettait très à l’aise. Elle se confia à lui, lui raconta son désarroi quand elle s’est retrouvée en rue dépouillée par des gamins de quartiers en voulant aider une petite fille qui cherchait sa maman. Il la réconforta et lui proposa de l’héberger.


Santos semblait avoir une belle situation. Il avait pris les multiples « cervezas » à son compte, y avait ajouté une ribambelle de tapas et n'avait pas lésiné sur le pourboire. Au moment de quitter l'établissement, le gentlemen ouvrit la porte et lui céda élégamment le passage. Ils marchèrent côte à côte vers la voiture, une belle Chevrolet noire, intérieur cuir. Santos se fit un plaisir d’ouvrir la porte à Mademoiselle Huguette. La voilà embarquée dans une situation dont elle ne mesure pas encore la gravité.


Arrivés à destination, Huguette découvre que la Chevrolet ralentit à hauteur d’une belle demeure protégée par une grille imposante cachant dans les lianes en fer forgé un majestueux jaguar. Son carrosse s’arrête, la grille s’ouvre. La voiture continue sa balade le long d’une allée boisée jusqu’à l’entrée de la maison. Un palace en pierre blanche décoré de colonnes imposantes. La voiture s’arrête à hauteur d’une fontaine en marbre représentant deux colombes amoureuses. En sortant de la voiture, elle fut conquise par les senteurs des magnolias qui parfumaient tout le domaine. Elle avait tout à fait oublié son désir de rentrer au plus vite chez elle.


Santos lui fit un tour de maison et lui montra sa chambre. Elle se croyait dans un conte de fée. La chambre était décorée avec goût et raffinement. Elle avait une vue magnifique sur le jardin arrière. Celui-ci était étendu, structuré par de jolis arbustes et illuminé de jolies fleurs aux couleurs harmonieuses. L’hacienda formait un carré bien protégé des regards indiscrets. Huguette se laissa tomber sur son lit à baldaquin et s'émerveilla devant sa belle chambre aux tons rosés.


- Waw…


Le soir, Santos avait invité quelques amis pour une petite fête organisée autour de la piscine. Ils avaient tous un look de roublard : tatouages, chaines en or, bagues en or et même dents en or. Mais Huguette s’était habituée à voir ce genre de personnages dans les rues des cités colombiennes. L’ambiance était tout à fait couleur locale. La soirée était parfaite. Des rires, de la musique, des tentatives loquaces en espagnol, en anglais et même quelques mots en français. Tout le monde était détendu.


La soirée se termina. Huguette se rendit dans sa chambre, le sourire sur les lèvres. Elle s’assit sur le tabouret de la coiffeuse et commença à coiffer sa belle chevelure quand tout à coup elle entendit Santos parler nerveusement dans le hall d’entrée de la maison. Les voix s’élevèrent. Huguette se dirigea discrètement plus près de la porte de sa chambre et tendit l'oreille...


- « Europa »… « muchacha »… « boletas »


Huguette n’avait rien compris, mais avait tout compris ! Elle se mit à visualiser ce qu’il risquait de lui arriver! L’ami de Santos avait bien l’intention de la séquestrer, lui faire avaler de force une longue saucisse de boletas de cocaïne. La gaver au risque que le butin explose dans son estomac. Elle imaginait la rupture des boletas dans ses entrailles ou dans le meilleur des cas la limace de gros suppositoires à faire sortir de son anus !


La frayeur la scotche au mur, elle commence à ressentir des sueurs froides, ses tympans émettent un bruit sourd dans ses oreilles. Elle se frotte le front, la nuque et termine par placer la paume de sa main sur son torse. Elle sent son cœur battre à toute allure. Il faut qu’elle sorte d’ici au plus vite. La voilà à nouveau consciente qu’elle ne possède pas de passeport… Toujours que 27 dollars, un paquet de chewing-gum entamé et plus que 1 capote… et oui… Elle s’est laissé porter par la tentation d’un doux après-midi aux senteurs de magnolias.


Elle fit, très vite, éclater la bulle de ce souvenir agréable avec Santos, d’une idée saillante. Elle allait s’enfuir. Elle regarda à nouveau par la fenêtre, mais il faisait nuit. Elle n’y voyait rien. De plus, toute la demeure était encerclée de hauts buissons épais. Ce jardin ne lui sembla plus aussi féerique. Elle allait attendre l’aube pour s’enfuir. Personne ne se doutait qu’elle avait entendu le plan machiavélique qui se mijotait. L’ami roublard serait parti et Santos dormirait à poings fermés.


Huguette guetta le soleil levant. Aux premières lueurs, elle sortit de sa chambre pieds nus, chaussures en main pour ne pas faire de bruit. La porte d’entrée était fermée à clé, elle partit voir la porte du jardin. Heureusement, celle-ci était restée ouverte. Elle essaya de trouver une sortie depuis le jardin, mais cette hacienda était bien protégée. Le soleil continuait à se lever. Qu'on ne la voie surtout pas s’enfuir! Dieu seul sait de quoi ces créatures sont capables.


Elle frôla les hauts buissons dans l’espoir de trouver une sortie secrète. Et bingo, son intuition l’avait bien menée vers une porte de sortie. La porte était fermée à clé, mais celle-ci était accrochée à une chaîne. Quelle chance !


La porte était assez petite, faite pour rester discrète. Huguette avait la sensation d’être Alice aux pays des merveilles, sauf que, de l’autre côté de la porte ce n’était pas un lapin blanc muni d’une horloge qui l’attendait, mais deux dobermans noirs entrainés à l’attaque qui se mirent à grogner. Son cœur se mit à battre la chamade, à nouveau ce bruit sourd dans les oreilles. D’un réflexe peut être absurde, elle envoya les deux baskets qu’elle avait encore en main dans la gueule de ces deux clébards nerveux. Une basket pour chacun.


Evidemment, ce ne sont pas deux petites baskets européennes qui allaient calmer ses deux molosses colombiens. Ils se mirent à aboyer pour réveiller tout le quartier. La voilà démasquée.


Mais Huguette ne se laissa pas tétaniser. Elle se mit à courir, les chiens aussi. Heureusement, ils étaient attachés à des chaines et elle put continuer sa course sans danger imminent.


Elle a bien dû parcourir cinq kilomètres avant de se permettre un peu de repos. Elle ne semblait pas être suivie. Elle avait réussi. Elle s’était enfuie à temps. Quel soulagement !


C’est elle, maintenant, qui ressemblait à un vanupied. Tout en sueur, pieds nus. Toujours 27 dollars, quelques chewing-gums et une capote… et pas de passeport. Comment allait-elle faire? Il fallait qu’elle se rende au plus vite à l’ambassade. Un taxi lui coûterait trop cher. Elle se décida à faire de l’auto-stop dans l’espoir de ne pas tomber sur Santos ou un de ces acolytes.


Une vieille Lada bruyante s’arrête. Le conducteur était un petit vieillard maigrichon. Il avait un sourire sympathique derrière lequel se cachait une dentition ravagée par la plante de coca. Il devait s’agir d’un paysan qui se rendait en ville. Elle s’aventure et accepte la proposition de transport. Huguette n’avait qu’une chose en tête… arriver à l’ambassade.


- « Embajada ?»


Elle tenta de se faire comprendre, mais ne reçu qu’un sourire benêt en retour. Il faisait chaud. Elle voulu ouvrir la fenêtre, mais la voiture était bien trop vieille, la manivelle ne fonctionnait plus. Qu’est-ce qu’il faisait chaud. Elle soupira, exaspérée d’une part mais soulagée de l’autre… Elle avait bien réussi à semer la bande à Santos.


Le paysan conduit très lentement et commença à examiner son colis, toujours d’un sourire benêt. Il commençait aussi à l’exaspérer celui-là. En gardant un œil sur la route, le chauffeur dévisagea la jeune fille de l’autre. Au prochain feu rouge, Huguette se rendit compte que le paysan regardait ses cuisses, puis ces pieds nus. Il en avait la langue qui pendouillait au coin de ses lèvres. Un beau pervers.


Elle lança au vautour un regard glaçant qui refroidit le vieillard aussi tôt. En détournant son regard, elle vit la braguette du pantalon en toile ouverte. Le vioque ne portait pas de slip.


- « Haaaa… dégueulasse ! », s’exclama Huguette dans la voiture, confiante toutefois. Elle ne se sentait pas en danger.


Une fois arrivée en ville, elle remercia le chauffeur et lui offrit les quelques chewing-gums et le préservatif restant… il saurait quoi en faire. De la capote certainement… des chewing-gums, à voir… il ne lui restait probablement plus assez de dents pour mâchouiller une gomme inépuisable.


La suite se passa sans encombre. Elle trouva l’adresse de l’ambassade et s’y rendit à pied… nus. Elle fut très bien reçue par ses compatriotes qui l’aidèrent à trouver une solution pour rentrer chez elle. Ils lui offrirent des vêtements neufs ainsi qu'une paire de chaussures. Le lendemain, elle prit l’avion pour rentrer au bercail. Elle n’aura jamais été aussi soulagée.


Le ciel se dégage et fait place au soleil. Huguette termine son café en contemplant un bel arc-en-ciel. Elle relit le titre du journal « Grand gagnant du Lotto retrouvé mort dans son canapé ». Cette fois, ce n’est pas la mort qui attire l’attention d’Huguette, mais le Lotto. Que ferait-elle si elle gagnait au Lotto ?


Elle se sert un deuxième café et se perd à nouveau dans ses pensées. Elle a le temps. On est dimanche.

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