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Gaëla Galasso

Huguette a un secret


Il retire ses pieds du bureau pour attraper, sur un dossier qui traîne, un petit bout de papier qu’il plie en huit avant de le catapulter avec un élastique sur la tempe de son collègue.


- Aïe ! Salopard !


Le tireur d’élite se réjouit ! Il a atteint sa cible en plein dans le mille.

Le téléphone sonne.


- Inspecteur Smith... hmm, je vois …on s’en charge.


Les deux policiers revêtent leur veston par-dessus leur Holster et se précipitent sur les lieux du crime.


*

Le Docteur Kobalowski referme l’étui et le range dans la poche de son smoking. La nervosité s’empare de lui. Il se sert un dernier whisky avant de partir. L’éminant scientifique est invité à une soirée privée. Il sait que, ce soir, sa vie va changer.


De son mouchoir, il essuie les quelques gouttes de sueur qui perlent sur son front avant de refermer la porte derrière lui.


- Docteur Kobalowski.


Le chauffeur lui ouvre la portière et l’invite à monter dans la Cadillac.


*

Sur un coin du comptoir trônait un bocal rempli de confiseries. Antoinette ne le quittait pas des yeux. Elle savait qu’elle n’avait droit qu’à un seul bonbon après l’école, mais elle profitait souvent de la distraction de son père, trop occupé avec ses clients, pour convoiter ce trésor en imaginant différents stratagèmes qui lui permettraient de chiper quelques petites douceurs supplémentaires.


Ce jour-là, elle était assise à la table près de l’entrée. Comment allait-elle s’y prendre ?


Grimper sur le tabouret ? Non, tout le monde la verrait


Se glisser derrière le comptoir et monter sur un bac de bière ? Non, elle était trop petite.


*

Le carillon de la porte de l’établissement tinta. Un homme élégant entra et salua le tenancier en soulevant son Fedora d’un geste distingué.


- Docteur Kobalowski, on vous attendait… veuillez me suivre.


Le père d’Antoinette sembla accorder une attention particulière à son client. Il quitta l’arrière du comptoir pour se diriger vers l’arrière-salle. Antoinette n’était pas autorisée à y entrer, une règle qu’elle rêvait souvent de transgresser, même si, à cet instant, c’était celle concernant les bonbons qui captait toute son attention. Son père s’était absenté. C’était l’occasion ou jamais.


*

Le tenancier guida le scientifique dans l’arrière-salle. La fumée des cigares et des cigarettes embrumait la pièce aux lumières tamisées. Quelques tables rondes recouvertes de longues nappes élégantes se dessinaient dans une atmosphère de mystère et de volupté. Il se joignit à la table de ses confrères. Tous avaient été invités par un investisseur discret qu’aucun d’eux n’avait jamais rencontré.


*

Antoinette courut chercher le bocal à billes dans la cour arrière. Pas plus haute que les frigos du comptoir, elle comptait escalader les bacs de bières pour remplacer le bocal à bonbons par le bocal à billes. Elle monterait ensuite dans sa chambre et se ferait un festin de friandises. Son père n’y verrait que du feu.


*

Les projecteurs se dirigèrent vers la scène. Un morceau de musique soigneusement choisi mit fin au bavardage des invités. L’éblouissante Maria de la Vega fit son entrée en scène. Sa longue robe aux reflets inattendus soulignait sa beauté charnelle époustouflante. Le public était envoûté.


Un inconnu vint s’assoir à côté du Docteur Kobalowski. Ce dernier semblait n’avoir d’yeux que pour la douce Maria. Tout le public était d’ailleurs subjugué par sa voix divine lorsqu’elle se mit à chanter.


Le docteur sortit l’étui de son veston et le déposa sur la table. L’homme assis à ses côtés posa sur l’objet un regard intrigué, ce qui électrisa l’atmosphère autour de la table. Excités par l’esprit de compétition, les convives se mesuraient du coin de l’œil. Ce Kobalowski n’allait tout de même pas remporter ce financement dont ils rêvaient tous ? Il était si petit, mou et chauve. Pas lui quand-même ?


*

Antoinette était sur le point de faire l’échange des bocaux lorsque deux hommes surexcités firent irruption dans l’établissement, arrachant presque le carillon. Elle se saisit et descendit précipitamment du comptoir sans avoir le temps d’accomplir sa mission. Elle se cacha sous le comptoir le temps de reprendre ses esprits.


Les deux hommes se mirent à interroger les clients. Antoinette n’avait peut-être pas encore réussi la « mission bonbons » mais elle sauta sur l’occasion pour devenir la super-héroïne de la soirée. Elle pressentit que quelque chose ne tournait pas rond et qu’il fallait qu’elle avertisse son père au plus vite. Une belle occasion d’ailleurs pour se faufiler dans l’arrière-salle interdite. Rien de plus excitant.


Il y avait un accès secret depuis la cage d’escalier. Elle ouvrit la porte et y découvrit une diva. Elle n’en croyait pas ses yeux. Abasourdie par une telle beauté, elle resta perplexe lorsque l’ange lui fit entendre sa voix mélodieuse et, les yeux ébahis, elle en garda, le temps d’un instant, le souffle coupé.


Le rêve s’acheva aussitôt. Les deux policiers pénétrèrent dans la salle. Eux, en revanche, n’avaient pas pris le temps de se laisser bercer par la douce voix de la colombe.


- Haut les mains ! Vous êtes en état d’arrestation.


Antoinette se saisit et fit tomber le bocal à billes par terre. Un grand bang explosa dans la salle et saisit l’assemblée. La foule se mit à courir dans tous les sens. Le chaos, le désordre s’en suivit. La petite fille se dit qu’elle venait de faire une boulette. Mission sauvetage avortée.


Alors que les invités s’encouraient par les accès arrière de l’établissement, les policiers commençaient à menotter leur menu fretin. La gamine reprit ses esprits. A défaut de réussir l’opération sauvetage, c’était l’occasion rêvée d’accomplir l’opération bonbons.


Seulement… le bocal à billes était cassé.


En face d’elle, sur la table, elle vit un étui qui semblait assez grand pour y cacher quelques bonbons. Rapide et rusée, elle s’empara de l’objet et fila tout droit sous le comptoir. Les lieux avaient été désertés. Elle ouvrit l’étui et en sortit le contenu qu’elle laissa derrière les fûts de bière. Elle escalada le Mont Bac-à-bières, ouvrit le bocal à bonbons et remplit l’étui des précieuses sucreries.


Elle avait peut-être raté l’opération sauvetage mais elle avait certainement réussi l’opération bonbons.


*

Huguette sirote son thé au Jasmin. Elle aime beaucoup ces moments où sa maman prend le temps de lui raconter les histoires de famille.


- … et donc, il est temps que je te le remette.


La mère d’Huguette entre dans la pièce de vie et se joint à la table. Elle s’assied en face d’Huguette et tient un étui en main. Les dorures sur l’étoffe rouge s’étaient estompées au fil du temps. Délicatement, elle glisse le précieux coffret sur la table pour le remettre à Huguette.


- Il vient de ton arrière-grand-mère qui vivait à New York.


Huguette s’émerveille en ouvrant l’étui. Elle y découvre une divinité. Elle n’avait jamais rien vu d’aussi sublime. Une beauté aux scintillements d’anges. Elle en resta perplexe, les yeux ébahis et en garda, le temps d’un instant, le souffle coupé. Un précieux collier en saphir serti de diamants.

L’intérieur de l’écrin était gravé : « Pour ma divine Maria ».


- « Qui c’est, Maria ? », questionne Huguette.

- « Une cliente probablement, qui n’aura jamais reçu son cadeau », répond sa mère d’un rire léger. « Désormais, c’est un bijou de famille »

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