La plupart du temps, il fait calme aux Fuchsias. Quand le soleil brille, on profite du chant des perruches et on contemple leur va-et-vient sur la terrasse du voisin. Je romancerai moins le va- et-vient des pigeons. Ils sont gris et ils chient partout.
Mais aujourd’hui, je n’ai pas envie de vous raconter l’histoire des pigeons mais bien celle qui a pimenté une de mes journées alors qu’actuellement, je passe la plupart d’entre elles clouée sur le coussin gauche de mon canapé car je me suis cassé la cheville. Mes fesses y sont presque greffées.
Ma journée est rythmée par l’ouverture et la fermeture des rideaux. Au lever, on les ouvre. A midi, quand le soleil nous éblouit, on les ferme. L’après-midi, quand la luminosité diminue, on les ouvre à nouveau. Ensuite la nuit tombe, dernier acte de la journée, on les ferme définitivement. Le spectacle est terminé.
Parfois, ce qui s’y joue devant nos yeux est palpitant. C’était le cas dernièrement :
Un bruit fracassant a secoué la monotonie de la greffe. Des cris et des insultes perturbaient la sérénité imperturbable des Fuchsias. Il fallait que j’aille voir. Oui, c’est ce que font les voisins, « aller voir ce qu’il se passe », pour s’insurger à l’heure du café chez la voisine.
Mon temps de réaction était peu optimal. Attraper les béquilles, se sortir de la fosse du canapé, se rendre en sautillant vers la porte fenêtre, dégager les rideaux à l’aide de coups de bâtons et ouvrir la fenêtre. Me rendre enfin sur la terrasse. Il faisait beau. J’ai pris le temps de brièvement fermer les yeux et sentir l’air frais m’emporter dans une balade en pleine nature.
J’ouvre les yeux. J’aperçois un vélo à terre au milieu de la rue et un Télétubies, tout jaune mais tout menu, qui s’éloigne. Il portait un casque et courait la patte blessée vers deux gars cloués au sol, face à terre, les poignets maintenus avec des colsons. A côté du butin, un homme costaud à genoux, qui les tient et les insulte.
Je suis choquée. J’avais compris qu’il s’agissait de deux méchants et de deux gentils, mais je trouvais que les gentils manquaient de décence. Pas besoin d’insulter pour veiller à l’ordre public tout de même ! Je salivais à l’idée de raconter ce dernier ragot à la voisine. Elle pense aussi qu’il faut rester poli en toute circonstance.
Et puis le costaud se relève. Je vois à l’expansion de sa cage thoracique qu’il venait d’accomplir sa mission. A son expiration, on pouvait lire que l’opération était terminée. Il se retourne et je vois son visage sanguinolent. Le spectacle était croustillant. J’en oubliais la pression dans la cheville.
Je le vois respirer comme un fauve rescapé d’une attaque meurtrière. Les renforts arrivent. Une voiture noire, des inspecteurs de la police fédérale. Je commence à comprendre qu’ils viennent d’attraper deux gros poissons.
« Il m’a fracassé la gueule », crie l’édenté en direction des renforts.
Deux dents avaient atterri dans les buissons du parc. Il eut le réflexe de vouloir les retrouver. La bouche ensanglantée, il abandonna très vite l’initiative courageuse.
Les deux malfrats ont été embarqués dans le véhicule sobre qui disparut aussi vite qu’un objet volant non identifié. Ni vu, ni connu.
Le calme est rapidement revenu dans la rue des Fuchsias. Ma cheville avait besoin de repos. La greffe pouvait reprendre.
Me restait-il encore des biscuits pour le café?
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